Une Calligraphie Soyeuse et Libre
Après son baccalauréat Art Plastique, et plusieurs expositions à Casablanca, sa ville natale, Rajaâ Benjelloun obtient une licence d’Arts Plastique à l’Université du Panthéon Sorbonne où elle participe en 1989 à la réalisation d’une fresque. Après une première exposition en 1990 à l’Association Art et Vie, elle confirme » sa maturité artistique » en Janvier 1992 en présentant ses oeuvres à l’Institut du Monde Arabe. Elle intègre progressivement la calligraphie arabe dans son art, comme le montre l’exposition, dont le vernissage est prévu ce soir à 18h30 à l’hôtel Sélect.
S’il est des artistes qui ressemblent à leur oeuvre, et s’enchevêtrent corps et âme avec elle, l’artiste peintre Rajaâ Benjelloun est de ceux-là.
Les doigts et les ongles effilés semblent se prolonger sur le support en carton dur pour dessiner des arabesques tourmentées comme cette valse endiablée qui souffle comme le simoun sur une partition de soie d’or. Il y a aussi ces lianes vertes d’espoir, qui s’entortillent en un ourlet fleuri pour figurer la renaissance, la re-naissance de l’art, de la vie. Il y a ces lignes poudrées d’or qui s’incurvent sans heurt, comme un accouchement sans douleur, comme une parturition ovoïde où couvre la première nidation d’un talent fragile. Dans cette exposition sobre et raffinée comme un bouquet de genêts sur un guéridon de cristal, l’oeil voyage en empruntant des dédales en sinusoïde, épouse les contours d’une sereine circonvolution avant de reprendre haleine dans un maquis lyophilisé d’algues sous-marines. Mais il n’y a pas que l’oeil, tous les sens sont en émoi : la caresse du vent de steppe chasse l’écume d’une brise marine avant de saisir la bénédiction d’une » khamsa » ouverte comme une main de Fatima. Dans cette galerie étrange, sans déranger, il n’y a pas que l’oeil, il y a aussi le regard lourd et mystérieux de l’artiste qui s’allume d’une pépite d’or lorsqu’elle sent le visiteur sentir dans la même direction.
Rajaâ dessine, peaufine, tisse, cisèle à fleur de nerfs, surtout la nuit, en ce moment de grâce où le silence suscite une intense jubilation créatrice. Ses oeuvres ne sont pas des archétypes achevés destinés à remplir une case de l’ordonnancement d’un salon de prince oriental. Ce sont des fragments souples mais éclatés qui dessinent l’infini, le non-fini, qui suggèrent sans obturer l’espace ; ce sont des myriades de lignes qui piquent parfois l’âme et l’épiderme comme autant d’aiguillons pour les lénifiantes pérégrinations de l’imaginaire. Dans le travail de Rajaâ, le rêve n’est pas un luxe, c’est presque un ingrédient obligatoire, un sésame indispensable pour déchiffrer les messages codés par l’artiste. Non point pour imposer une exclusivité de mère poule à tous » ces enfants » qu’elle accepte de montrer mais dont elle répugne à se dessaisir. » Je suis presque malade quand un client se présente pour un acheter un tableau « . Mais elle a fini, l’enfant artiste née à la » Plastique » dès son lycée de Casablanca, pour se faire une raison. Je ne suis pas une spécialiste de la calligraphie dont je ne maîtrise pas tous les codes. Mais n’en déplaise aux puristes, l’art calligraphique est pour moi un ressourcement dans la culture originelle en même temps, qu’un biais artistique idoine pour exprimer tout ce que je ressens « .
La calligraphie est pour Rajaâ, « une prophétie secrète, un sortilège qui impose de sortir de soi pour aller vers l’Autre, pour aller Ailleurs. Et contrairement à ce que pensent des critiques » hexagonaux « , en son art n’est pas une fusion hybride de la tradition orientale et de la modernité occidentale. Même si elle perçoit de façon avenante la généreuse intention de cette symbiose culturelle, elle semble s’écarter de la réduction, caricaturale jusqu’au cliché, de ce propos cher aux orientalistes d’antan.
Le propos, l’itinéraire, la démarche, autant artistique que corporelle de Rajaâ Benjelloun, dénotent en permanence une aspiration quasiment obsessionnelle à la liberté.
La preuve : même l’entrée de son exposition est libre.
ALGER INFO INTERNATIONAL – 19 Janvier 1996
Exposition déroulé du 20 Janvier au 20 Février 1996 dans les salons de l’hôtel Sélect. Place de la Sorbonne, Paris 5°.