Rencontre avec une femme peu ordinaire

Artiste, calligraphe, elle est trapéziste sur le fil de deux mondes, d’autres diraient, sans doute, funambule, écuyère d’autrefois… tans son travail repose sur un exercice périlleux : recréer la mémoire transcendée par une révolte intérieure à rebours, libérer le présent dominé par un désir d’être soi, inscrire l’avenir dans une conjoncture plurielle qui laisserait place à la tradition d’ailleurs et épouserait la modernité d’ici sont les ingrédients du cocktail qui inspirent ses oeuvres.

Un mot peut changer une vie !

Une discipline artistique bousculée, façonnée, réapprivoisée… nous révèle une chrysalide consciente de la terre, en avance dans l’oubli. Rares sont ceux, touchés par la clémence du ciel à qui est réservé le privilège du don de la souvenance !

L’ancrage aux origines marocaines de Rajaa Benjelloun, puisées à leurs sources premières : la civilisation arabe, berbère, africaine… redonne sens aux mythes, aux symboles, aux gestes. Il est pour elle un merveilleux tremplin de résonances musicales qui lui offre d’utiliser sa palette telle une partition vivante et animée de couleurs et de vie donnant à l’ensemble l’aspect d’une chorégraphie teintée d’or où le mouvement des lettres s’entrelaçant laisse percevoir l’essence d’une pensée muette.

La force est là ! … La lettre !

Source originelle de reconnaissance, lien fondamental entre les âges, pérennité du multiple issu de l’un.

Chevaucher un tel défi en se libérant des entraves qu’impose l’ordonnancement d’un rituel sacralisé fixant la règle de la calligraphie arabe est une gageure réservée aux être trempés d’airain.

Ni pinceau, ni encre, armée d’un scalpel tel un cif, elle tranche et cisèle à l’image d’Isis reconstituant, redonnant forme et vie à Osiris. L’appel de Samarcande lui fait préférer le papier qu’elle transforme en signes. De sa fragilité devenue armure, il lui rend les parcelles d’émois teintées de suavité qu’elle réaménage en un ballet mouvementé, véritable volée d’hirondelles, qui l’espace d’un instant se fige et se laisse emprisonner dans un écrin de couleur.

Ses oeuvres reflètent l’ambiance des espaces de vie marocains avec leurs couleurs, leurs saveurs, leur musicalité… Culture, société, mémoire, distance, seront la marque d’un chant qui se voit.

Michel ARAB
Septembre 1999
La Médina n°3 Décembre-Janvier 1999-2000